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La joie ... racontée par Sophie Locatelli

Entretien sur le thème de la joie avec Sophie Locatelli, DRH chez Fondation Armée du Salut, Centre-Espoir à Genève. Propos recueillis par Camille Lamouille en juillet 2020.



"La joie c'est célébrer le vivant"
- Sophie Locatelli -

Sophie Locatelli : Après 16 ans passés dans l'industrie en France comme responsable de

communication et de projets, j'ai plongé dans le monde de la formation, du coaching et de l'accompagnement des équipes pendant 7 ans. La vie m'a fait rencontrer l'Armée du Salut il y a maintenant 10 ans. J'assure la gestion et le développement des Richesses Humaines pour deux institutions sociales. Une est un lieu de vie pour 122 personnes atteintes de troubles psychiques, la seconde est un lieu d'accueil d'urgence de nuit de 40 places (grands précaires, femmes isolées et mineurs non accompagnés).


Camille Lamouille : Quelle place prend la joie dans ta vie et dans ton travail ?


Sophie Locatelli : La joie est très importante pour moi, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle. Sans joie, je ne sais pas si je serais encore vivante. Une journée sans même éprouver un tout petit peu de joie c’est difficile à imaginer pour moi.


Un jour, une de mes tantes m’a dit « depuis toute petite, tu es une petite fille très joyeuse, espiègle ». Parfois au cours de ma vie j’ai oublié ça. Des rencontres, professionnelles ou personnelles, ont essayé de m’enfermer dans autre chose, ou me faire douter de ma joie interne, alors qu’au fond de moi ça n’était pas ça que je sentais. J’avais besoin de la joie.



La joie m’apporte du bien-être, de la légèreté dans mes journées. Par exemple au travail régulièrement avec mes collègues on mange toutes ensemble et ce sont des moments vraiment joyeux et très ressourçants ! La joie ça peut être aussi de voir un beau lever de soleil au réveil, un ciel incroyable en roulant. Avec tout cela j’éprouve beaucoup de joie. Par exemple je suis toujours émerveillée, subjuguée de la beauté du trajet jusqu’à mon bureau, pourtant c’est le même chaque jour depuis des années. Je me dis que si on n’est pas sensible à ça, la vie doit être lourde. Au travail, sans joie ça serait vraiment difficile. Si on n’était que dans « l’adulte » hyper objectif, rationnel, sans émotion, je ne pourrais pas le supporter.


Camille : Comment s’exprime-t-elle ? Sous quelle forme ?


Sophie : Au travers de moments que je peux passer avec les gens. Elle s’exprime aussi beaucoup grâce à l’humour, jamais caustique, c'est parfois utile dans des situations un peu lourdes. J’essaye de ramener de la légèreté, de voir le côté positif de la situation, de soutenir la personne en difficulté. Un autre indicateur de la joie c’est le sourire. Je souris volontiers quand je croise une personne. Je me rends compte que j’ai toujours du plaisir à croiser des gens, à dire bonjour, à faire un sourire, à prendre des nouvelles. Et cela ça fait pour moi partie de la joie au travail.


La joie c’est le lien avec les autres, l’écoute, être écouté et entendu. Je remarque que quand les personnes se sentent vraiment écoutées, généralement elles repartent plus joyeuses. Avoir de la joie en soi c’est ce qui va faire avancer. J’ai toujours cette impression que c’est une émotion qui permet de faire un pas en plus plutôt que de rester en retrait, et c’est souvent ça que je viens chercher chez les gens pour ensuite les amener à autre chose de plus positif.


La joie expansive, extravertie, avec beaucoup d’énergie, n’est pas forcément appropriée à toutes les situations. Malgré tout, pour éviter de tomber dans la morosité, je me mets dans une émotion positive joyeuse mais plus douce, pour me mettre au diapason avec la personne en face.


Je pense aussi au fait d’inviter les gens à célébrer, même la moindre chose. De dire « ça c’est super, on peut s’en réjouir, bravo ! ». Souvent j’amène mes collaborateurs à le faire, à célébrer les petites et grandes réussites. Je le faisais aussi avec mes enfants quand ils étaient à l’école, je leur demandais « et toi, tu es content de ce que tu as fait ? ». Moi j’étais très contente, j’avais beaucoup de joie, mais ce qui était important pour que je puisse en éprouver encore plus c’est d’être sûre qu’eux aussi soient bien connectés à la joie. En partageant avec eux, j’avais encore plus de joie. Pour moi la joie est encore plus grande quand elle est partagée, ça la potentialise encore davantage ! Si je n’arrivais pas à partager cette joie que je ressens ou d’en éprouver en même temps que quelqu’un, je pense qu’il y a quelque chose qui ne serait pas complètement abouti pour moi. Se réjouir tout seul c’est bien, mais se réjouir à plusieurs c’est encore mieux. C’est un de mes moteurs.


Camille : Penses-tu que la joie est utile, essentielle, importante au travail et en entreprise ?


Sophie : Absolument. Elle est indispensable. J’en suis convaincue. Si tu n’es que dans

l’autorité sans exprimer de joie, tu ne peux pas embarquer les gens avec toi ni stimuler de la motivation, de l’enthousiasme. Si ce que tu fais génère de la peur, de la tristesse, de la crainte, les gens vont se mettre en retrait, faire un pas en arrière, être dans l’attente ou la fuite, ils n’auront plus envie d’être en contact. La joie est un moteur d’engagement, de créativité, de confiance aussi. Exprimer de la reconnaissance à des gens procure de la joie et en génère ainsi que de la satisfaction et de la fierté chez l’autre. Ça permet de reconnaitre l’autre complétement. Si tu fais ça, il y a de la confiance qui se dépose des deux côtés. Les managers qui savent le faire ont des relations dans leurs équipes qui sont plutôt positives. Ceux pour qui c’est difficile de partager ont des relations de travail plus méfiantes, plus sur la retenue. C’est quelque chose qui doit être entretenu. Pour moi, c’est indispensable au travail. Sans la joie, sans la célébration, il y a quelque chose qui meurt dans les groupes.


Camille : Comment génères-tu la joie dans les groupes que tu accompagnes / dans ton équipe ?


Sophie : Si j’accompagne des managers pour les aider à diffuser plus de joie dans leur groupe, la première chose que je recherche c’est de savoir quelles sont leurs craintes à mettre de la joie au travail : perdre leur autorité, perdre leur place… C’est parfois aussi une crainte individuelle liée à l’affirmation de soi, ne pas oser de peur du jugement des collaborateurs, la croyance que la joie n’est pas sérieuse… Diffuser plus de joie c’est travailler aussi sur sa manière de communiquer. Avoir une communication positive, oser les conversations courageuses, être transparent. Le conseil que je donne souvent c’est opter pour la communication directe : descendez dans vos équipes, arrêtez de faire des mails, exposez-vous, partez à leur rencontre. Les gens se sentent reconnus quand on fait l’effort de se déplacer pour leur parler en direct.


L’authenticité est également un ingrédient fort de la joie. Ça se sent les personnes qui surjouent les choses, et cela empêche la crédibilité. Soyons présents avec ce que nous sommes vraiment, c’est finalement ce qui passe le mieux. Même si ce n’est pas toujours simple.


Souvent les gens me remercient pour le bonjour, le petit mot, la petite attention, que ce soient les résidents ou les collaborateurs. Ils me disent « Avec vous on a toujours l’impression d’être important dans l’entreprise. ». Ils se sentent considérés. Au sein des membres de direction, on essaye tous d'insuffler cela. Ne serait-ce que dans nos codirs, on commence toujours par un temps de partage personnel. On fait la météo du codir. Les temps informels sont importants en entreprise.


Au Centre-Espoir, à l’Armée du Salut, il y a beaucoup de moments de célébration : les départs en retraite, les jubilés, les anniversaires, Noël…


De façon générale, j’aime offrir des cadeaux aux personnes de mon entourage, mes collègues, mon équipe. Pour les anniversaires, Noël, la journée de la femme, ou quand je pars en voyage à l’étranger, j’aime choisir un cadeau qui a vraiment été sélectionné pour la personne à qui je l’offre. Les cadeaux contribuent à renforcer le lien. Encore plus ceux qui sont personnalisés, vraiment choisis en fonction de ce que je connais de la personne.


La joie passe aussi par le bien-être au travail, notamment en étant attentif aux conditions de travail, pour les parents qui veulent prendre plus de temps pour s’occuper des enfants, avoir des horaires ajustés ou permettre des temps partiels par exemple. Tout cela ne peut que contribuer à amener du bien-être et donc de la joie car les gens sont plus détendus et se sentent considérés.


Camille : Te considères-tu comme une personne joyeuse ? En quoi ?


Sophie : Globalement oui. Je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un de rabat-joie. J’aime être joyeuse et le partager. Je le considère vraiment comme une force chez moi. J’ai en moi une joie d’enfant, je m’émerveille de beaucoup de petites choses. Finalement, la joie de s’émerveiller de tout n’a pas d’âge. Quand on se coupe de ça, on se coupe d’une part vivante en nous. La joie c’est célébrer le vivant.


Merci à Sophie Locatelli pour ce touchant et joyeux témoignage. 


- Camille Lamouille -


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